- L’expression des terroirs
La typicité d’un calvados repose sur le sol, les variétés de fruits, la fermentation des moûts, la méthode de distillation, la conduite du vieillissement.
Le rôle du sol a longtemps été abordé uniquement sur le plan physico-chimique sans prendre en compte la vie du sol indispensable à l’expression du terroir. L’expression de terroir résulte de l’interaction entre la microflore et le système racinaire de l’arbre. Un sol bien aéré facilite le développement du système racinaire qui permet à la plante de s’ancrer dans le sol et d’absorber l’eau et les nutriments (sels minéraux et oligoéléments) qui lui sont nécessaires. La faune (bactéries, vers de terre et petits animaux) est responsable de la porosité du sol, donc de l’entrée de l’air et de l’eau en profondeur et la microflore est responsable de la formation des éléments nutritifs assimilables par les plantes. Jusqu’aux années 1970, rien n’entravait l’expression de terroir dans la production du vin. C’est alors qu’eu lieu une révolution dans les pratiques agricoles qui a fortement perturbé la vie du sol : l’agriculture intensive. Cette révolution a investi une partie importante de la viticulture. Elle offrait aux vignerons la possibilité de garantir leurs rendements et de sauver leurs vendanges par l’emploi massif de produits phytosanitaires, de pesticides puissants, l’utilisation de désherbants, d’engrais chimiques. Ces pratiques ont anéanti la faune aboutissant dans certains cas à la disparition totale de l ‘activité biologique. Les nutriments ne peuvent se former que si le sol est bien aéré par la faune. Avec la disparition de la vie du sol, les nutriments que la plante ne peut plus aller chercher dans le sol lui sont apportés sous forme d’engrais. Le lien au sol disparait en même temps que l’expression du terroir. Les racines de la vigne ne pouvant plus accéder à la roche-mère, le vin n’est plus un vin de terroir mais un vin de cépage comme on en produit partout.
Le pré-verger et l’absence de traitements chimique garantissent une vie du sol très active. La révolution dans les pratiques agricoles n’a pas affecté la production de fruits issue de vergers haute tige. Dans les vergers basse-tige le recours aux produits chimiques est resté très modéré et n’a jamais asphyxié le sol. Les producteurs de calvados n’ont donc pas été confrontés aux problèmes des viticulteurs qui ont adopté les pratiques dites modernes de culture.
Les relations qui unissent le sol, les bactéries et les variétés d’arbres sont trop complexes pour être copiées. En concourant à la typicité du produit, un sol vivant en assure la protection face à la concurrence étrangère. Il assure au produit un caractère unique. Dans beaucoup de pays on produit de l’eau-de-vie de cidre mais aucune n’est parvenue à imiter le calvados. Certains producteurs, notamment américains, ont importé des pommiers à cidre de Normandie. Ils feront peut-être de belles eaux de vie mais exprimeront nécessairement un autre terroir.
Peut-on déterminer d’où vient un Calvados que l’on déguste à l’aveugle ? Quel rôle joue le sol dans l’expression du terroir ? Pour tous ceux que la banalisation ennuie, qui trouvent leur plaisir dans des produits au caractère affirmé, l’appellation d’origine combinée à de bonnes pratiques de gestion du sol offrent une garantie. Un produit d’Appellation d’origine doit exprimer son terroir, en révéler l’âme. Les fruits arrachent au sol une expression du terroir, que la fermentation sans levures exogènes suivie de la distillation transforme en parfums. Dès que ces parfums arrivent aux narines, les cellules réceptrices envoient un message au cerveau qui les identifie. La bouche ne fait normalement que confirmer l’information donnée par le nez. Un produit d’Appellation d’origine doit exprimer son terroir, en révéler l’âme. Le calvados montre un fascinant pouvoir d’évocation. Il est à l’image du pays qui l’a vu naitre et des hommes qui l’ont produit. Pour ceux qui connaissent le Pays d’Auge et le Domfrontais, deux entités homogènes aux caractéristiques identifiables, il n’est pas difficile d’identifier l’appellation. L’expression de terroir est forte. Pour l’Appellation générique Calvados, l’exercice est beaucoup plus difficile car la zone de production qui réunit onze régions aux caractéristiques souvent spécifiques n’est pas homogène.